19 janvier, 2013

Le jour où Bill se fit la belle

FAITS D'ÉTÉ 1962. Le 4 août, le puma du cirque Francki file à l'anglaise. Le safari rocambolesque pour le récupérer durera deux mois

Le 16 octobre 1962, Bill est repéré en haut d'un grand pin. (photo repro collection jean de cellery d'allens)
Le lendemain, on apprit la mort de Marylin Monroe. Mais, malgré tout le mystère qui entoure les circonstances de ce suicide, tous les historiens s'accordent à dire que ce second drame n'avait rien à voir avec le premier : la fugue de Bill à Ars-en-Ré. Bill était un puma, d'origine américaine comme Clinton, JFK ou Norma Jane Baker, également peu farouche, et qui s'ennuyait ferme dans sa cage dorée du cirque Francki, ses jongleurs, des acrobates, ses fauves. Dans la nuit du 4 août, Bill décréta l'abolition des privilèges du dompteur et glissa, ombre furtive, dans la nuit moite de l'île de Ré.

L'affaire fit grand bruit, allant jusqu'à reléguer en bas de page le mystérieux serpent de mer qui venait de ressurgir dans un étang des Vosges. La presse nationale envoya dans l'île ses plus fins limiers. Allez savoir pourquoi, en août, les journalistes parisiens préfèrent venir enquêter en bord de mer plutôt que dans la forêt-noire.

Branle-bas de combat dans l'île. Il faut dire que les titres des journaux avaient de quoi émouvoir : « Terreur sur l'île de Ré », « Un puma menace 100 000 estivants », « Des touristes anglais en danger tant que rôde le puma ». De la première réunion de crise, il résulta une évidence : le fauve ne connaissant qu'un seul domicile, sa cage, il allait sûrement y revenir la nuit suivante. On plaça donc de la viande imbibée de somnifères dans la cage ouverte et un gardien à proximité, histoire de refermer la porte une fois Bill revenu au bercail. Mais ce fut le gardien qui s'endormit. Et si la viande avait bien été mangée au petit matin, il n'y avait aucune trace du puma. La légende dit même que tous les chiens du quartier ont dormi pendant 24 heures.

Claude Rabanit était reporter à « Paris Match ». Il se souvient (1) avoir lui aussi tenté de surprendre l'animal avec son appareil photo en l'appâtant avec de la viande après avoir aperçu deux traces fraîches. « La nuit vint et... je me réveillais vers minuit. Il faut dire que j'avais prévu de quoi me couvrir et que la fourche de l'arbre était décidément trop confortable. Quant à l'appât, il avait disparu. »

Un trappeur rhodésien

Il y eut bien aussi une battue avec force casseroles et timbales pour effrayer le fugueur. Mais rien n'y fit. Bill se jouait de ses poursuivants. Alors on fit venir un trappeur de Rhodésie (2). Logique, puisque la bête était américaine. Mais le grand chasseur blanc fit chou blanc. Les frères Francki, les patrons du cirque, firent aussi appel à la vieille méthode des chasseurs de prime : 2 000 nouveaux francs à qui ramènera, mort ou vif, le facétieux gros chat à ses propriétaires. Pas plus de succès. Le feuilleton des recherches tenait en haleine les lecteurs de la presse estivale. On délira sur le cri du puma. De Mi-août à miaou, il n'y eut qu'un son que le « Canard Enchaîné » s'amusa à évoquer. Il n'était d'ailleurs pas loin de la vérité puisque le puma, plutôt silencieux, peut ronronner ou miauler comme un gros matou. Mais somme toute, les autorités surent raison garder. Ayant appris de sources sûres que le puma n'était pas plus dangereux pour l'homme que le lapin de garenne, dont il se délectait, on ne fit pas évacuer l'île.

Puis, comme dans la chanson, vint la fin de l'été sur la plage. Tout le monde reprit le bateau pour le continent. On oublia les amourettes éphémères, les traces de bronzage et l'escapade du seigneur des Rocheuses. Le cirque Francki avait plié son chapiteau pour continuer sa tournée.

Seuls les Rétais restèrent avec l'étrange sensation que deux yeux brillaient dans la nuit. Le mystérieux félin s'était installé dans leur imaginaire. Ils s'en accommodaient fort bien. Il est vrai qu'on n'avait jamais tant parlé de l'île de Ré qu'en ce mois d'août 1962. Quelque 1 500 cartes postales représentant le puma avaient été vendues, on avait gravé des assiettes à son effigie, rédigé une fable, des paroles de chansons sur l'épopée de Bill, le fugueur.

Et le 16 octobre de cette même année 1962, dans l'île endormie, Bill fut repéré au fond du jardin d'Émile Fèvre, à La Flotte. Il se reposait au sommet d'un grand pin.

Massages cardiaques

Ce fut à nouveau la fièvre. Pas le temps de téléphoner à Davy Crockett ou à Crocodile Dundee. On fit appel aux forces locales. Un lasso fut improvisé à la hâte pour attraper l'animal qui refusait de se rendre à la maréchaussée. La corde fut lancée et le piégeur fit mouche. Six hommes forts tirèrent et Bill chuta lourdement à leurs pieds. Mort ou presque. Le noeud coulant l'avait étranglé. Il ne respirait plus.

Le coeur s'était arrêté ; Ce n'est qu'au prix de massages cardiaques intensifs du lieutenant de CRS Lucien Drouillard que le puma reprit souffle et vie. La seule fois de sa longue carrière que le gardien de la paix eut à réanimer un puma.

La suite ne fut que cris de joie et liesse populaire. À nouveau encagé, Bill, queue basse et oreilles en berne, fut exposé dans les rues de la Flotte comme un monstre de foire et refit la Une des journaux. On put notamment lire dans « Paris Match », en légende d'une photo où l'on voyait un fauteuil roulant vide devant une foule : « Le paralytique s'est levé pour voir le puma ». Quant à Michel Guillet, il titra plus sobrement dans « Sud Ouest » : « Vacances terminées pour le puma ». C'était simplement vrai.

Bill avait goûté à la douceur de la liberté pendant deux mois et demi. Il avait profité l'île de Ré en septembre, le mois le plus tendre selon Claude Nougaro, qui hantait lui aussi les sous-bois de Trousse-Chemise.

Le félin aux yeux d'or fut renvoyé à son employeur, le cirque Francki, où il retrouva le fouet, le tabouret et la viande morte. Il reprit le collier, quoi.

(1) Dans le livre « L'île de Ré, Années 1950, 1960, 1970 », de David Canard chez Geste éditions. (2) Pays d'Afrique devenu depuis le Zimbabwe.

Source : Sud-Ouest du 11 août 2009

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